L’organisation par les préfectures des “assises territoriales de l’Islam” avec les différents acteurs du culte musulman, entre les 4 et 15 septembre et sur instruction du président Emmanuel Macron, a suscité de vives réactions.
Avec les “assises de l’Islam de France”, le président Macron envisagerait, selon la presse française, de créer une nouvelle institution représentative des musulmans.
Toutefois, ces derniers estiment que l’objectif principal du président français est de contrôler les musulmans et de les orienter selon son gré. Une volonté de prise de contrôle, qui selon plusieurs archives mises à jour, remonte en réalité à plus d’un siècle.
En effet, dans l’article signé par Jalila Sbai et publié le 9 mars 2018 sur le site Orient XXI [essentiellement orienté vers les informations et commentaires relatifs au monde islamique], il est précisé que la volonté de l’État français d’instaurer des relations institutionnelles avec les musulmans date de 1902.
Selon les rapports publiés à cette époque, l’objectif de ces concertations était de “suivre et surveiller les musulmans”. Pour cela il s’avérait nécessaire de “gagner la sympathie des musulmans en instaurant de bonnes relations avec les fortes tribus de la région”.
Toujours selon le même article, la première inspection institutionnelle s’est déroulée en 1917. Si depuis de nouvelles institutions sont apparues, le mode opératoire est quant à lui resté intact, souligne l’auteur.
Par ailleurs, les allégations selon lesquelles le gouvernement actuel souhaiterait rendre inopérant le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé par l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, lorsque ce dernier était ministre de l’intérieur, ont été exprimées à maintes reprises dans la presse française.
Une volonté qui s’expliquait par le fait que les présidents du Conseil, autrefois proches de l’État français ont, avec le temps, été remplacés par des individus agissant indépendamment du gouvernement. Actuellement, le CFCM est présidé par Ahmet Ogras qui est d’origine turque.
Un éloignement dont témoigne l’absence du président français au repas annuel de rupture du jeûne du ramadan, organisé par le CFCM, se faisant remplacer par son premier ministre, Édouard Philippe. Ce dernier n’avait par ailleurs pas prononcé le discours lors de l’événement auquel il s’était présenté avec du retard. Une attitude qui avait été interprétée, sur les réseaux sociaux, comme “une mise au ban du CFCM”.
La dernière circulaire envoyée aux préfectures par le ministère de l’Intérieur aborde des thèmes tels que le “financement de l’Islam de France”, la “formation des imams en France et en français”, la “diminution de l’influence des états étrangers sur les autorités, les institutions islamiques et les mosquées”, et, enfin, la “création d’une association à fort pouvoir représentatif”.
Alors que les assises territoriales se poursuivaient, Hakim El Karoui, essayiste, a remis, il y a une semaine, à la présidence française, son rapport intitulé “La fabrique de l’islamisme”, un dossier qui avait été diffusé le dimanche 9 septembre par l’Institut Montaigne [une plateforme de réflexion, de propositions et d’expérimentations consacrée aux politiques publiques en France].
Depuis, de nombreux représentants d’institutions islamiques ont réagi, sur diverses plateformes dont en premier lieu les réseaux sociaux, contre ce rapport de plus de 600 pages qui contient de nombreuses allégations sans fondement.
L’interdiction du financement des mosquées et la création d’une taxe sur les produits halal sont des mesures présentées dans le rapport en vue de la “réorganisation de l’Islam de France”. Le rapport préconise, entre autres, la création d’une “Association pour l’Islam de France” (AMIF) qui recueillerait une “taxe halal”.
La manière dont “l’Islam de France” doit être organisée constitue, en réalité, la partie la plus controversée du dossier qui souligne que “les musulmans s’islamisent de plus en plus”, que “les réseaux sociaux sont aux mains des islamistes”, et que “les islamistes influencent les musulmans”.
Toujours selon le rapport, la Turquie et l’Arabie Saoudite propagent “l’islamisme par l’intermédiaire des associations”.
En outre, dans une partie entièrement réservée à la Turquie, est mis en exergue des passages décrivant une “communauté éloignée de la religion vers une communauté pratiquante”, une “islamisation de la communauté” et une “volonté de la Turquie de devenir une puissance internationale”.
La Turquie serait, grâce à la Direction des Affaires religieuses (Diyanet), la puissance étrangère la plus influente en France.
Les structures du Milli Gorus (IGMG), communauté islamique, sont également présentées comme des partisanes de l’État turc et de son gouvernement tandis que l’organisation FETO est décrite comme un groupe d’opposition “inoffensif” pour les pays européens.
D’autre part, l’incrimination directe de certaines institutions et personnalités, exposées telles “des usines productrices d’islamisme”, attire l’intention. Dans le rapport, l’écoute grandissante de rappels religieux, par les jeunes via internet, est fournie comme “une preuve de l’islamisme”.
Dans une interview accordée à l’Agence Anadolu (AA), Fateh Kimouche, fondateur du site d’information Al Kanz, a confié que le rapport est “une manifestation des objectifs colonialistes de la France”.
Selon lui, la volonté de réorganiser l’Islam, sous prétexte que la France a été victime d’attentats terroristes, est inacceptable et constitue une ingérence de l’État laïque dans les affaires intérieures de l’Islam.
Ce dernier souligne, par ailleurs, que la France n’est à l’origine d’aucune intervention susceptible d’influencer les programmes et les plans des institutions catholiques ou juives.
Si le dialogue de l’État avec les institutions religieuses ne pose aucun problème, Kimouche considère néanmoins qu’il existe une volonté d’inventer un “Islam et un imam de France”.
Convaincu que les musulmans sont suffisamment matures pour régler leurs problèmes par eux-mêmes, Kimouche ne souhaite aucune immixtion au sein de l’Islam.
Pour lui, le passé de l’auteur du rapport est le point le plus contrariant. Selon le fondateur d’Al Kanz, Karoui considère comme “islamiste tous ceux qu’il n’arrive pas à qualifier de musulmans”.
Hakim el Karoui, ancien conseiller de l’ex-président tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali, est également un ex-banquier de Rothschild où il a travaillé en compagnie de l’actuel président, Macron.
C’est la raison pour laquelle Kimouche conçoit sa prise de parole comme une “offense”.
Par ailleurs, il considère comme “hilarant” les propos de Karoui qui écrivait dans un de ses livres que “le port du voile n’existe pas dans l’Islam”, que “la prière du vendredi n’est pas obligatoire” et que “le concept de viande halal n’existe pas”.
Dans le rapport, certains utilisateurs de réseaux sociaux, connus pour leur soutien envers Tariq Ramadan [exprimé par des tweets sous le hashtag #FreeTariqRamadan] inculpé pour viol, ainsi que celui d’une chanteuse voilée ayant participé à une émission télévisée française, ont été présentés, comme “islamistes” avant d’être inscrits sur “liste noire”.
“La mise en avant de personnalités qui ont des problèmes avec les musulmans afin de réorganiser l’Islam constitue en soi un problème”, a noté Kimouche qui considère que “les problèmes des musulmans ne peuvent être résolus par des non-musulmans, tout comme les problèmes des chasseurs ne peuvent être résolus par les associations œuvrant pour la protection des animaux.”
De son côté, Ali Gedikoglu, président du Conseil pour la Justice, l’Égalité et la Paix (COJEP) [association connue pour sa lutte contre l’islamophobie, le racisme et les discriminations] considère que “ce type de rapport est en réalité un ‘’coup d’état’’ contre la société française”.
Selon lui, la nouvelle méthode gouvernementale des sociétés occidentales réside dans la provocation de la crainte, qui permet de contrecarrer les demandes formulées par le peuple et d’éviter ainsi que ces derniers ne s’opposent aux nouvelles législations restrictives de liberté.
Enfin, Gedikoglu s’est adressé à la société française :
“Les français ne doivent être distraits par ce type de rapport. Ils doivent s’opposer aux lois qui tout en marginalisant les musulmans cherchent leur légitimité dans la crainte. S’ils acceptent une distinction ‘’Nous et les Autres’’, ils seront réticents dans la formulation de leurs demandes auprès des politiciens à cause des politiques sécuritaires de sorte que leur propre prospérité, bonheur et avenir seront hypothéqués.”
Source AA
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